vendredi 31 juillet 2015

Grèce : crucifier Tsipras ?


Alexis Tsipras est désormais un traître pour une partie de la gauche radicale, et pour une autre partie un étourdi qui aurait négligé, tête de linotte, de prévoir un plan B au diktat de l'Union Européenne.
Traître ? Qu'avait-il alors à gagner dans cette galère, à part multiplier ses chances d'infarctus ? Et l'électeur ne semble pas le considérer comme un traître : selon un sondage, 68% des Grecs considèrent qu'il doit rester à la tête du pays, même si la coalition est remaniée, et 72% estiment qu'il fallait signer les conditions imposées par Bruxelles.
Tête de linotte ? L'idée paraît un peu simpliste concernant quelqu'un qui, malgré son inexpérience et des maladresses, a mené une bataille hallucinante de telle manière que même le Figaro devait en écrire : "Qu'on l'adore ou qu'on le déteste, tout le monde doit reconnaître que ce premier ministre de 40 ans se révèle être un exceptionnel barreur par gros temps." Yanis Varoufakis, ex-ministre des finances grec, explique dans une interview quelles mesures ont été envisagées. On y lit "Le Premier ministre [AlexisTsipras], avant qu'il ne devienne premier ministre et avant que nous ayons gagné l'élection en Janvier, m'avait donné le feu vert pour préparer un plan B."
Il existe pourtant une troisième hypothèse que je ne lis guère : c'est qu'une autre issue que l'"accord" aurait été une catastrophe encore bien pire, et que Tsipras a choisi de l'éviter.


To Grexit ... 


Une sortie de l'euro, un Grexit (sous quelle forme il serait techniquement possible est matière à d'ardues discussions) aurait signifié repasser à une monnaie nationale. Cela prend des mois (reprogrammer les ordinateurs, les distributeurs de billets, imprimer...) qui donneront aux capitaux le temps de filer vers d'autres monnaies. Car la nouvelle monnaie sera nécessairement faible. La banque UBS estimait en 2011 qu'une nouvelle drachme vaudrait 40 à 50 % d'un euro. En pratique, cela veut dire une solide dévaluation ! Elle serait positive pour les exportations, et favoriserait les produits locaux sur le marché intérieur. On aurait pu penser que cela aurait été positif pour le tourisme, mais les représentants du secteur ne sont pas de cet avis (1). En revanche, cela ferait augmenter le prix de tous les biens d'importation. Je ne crois pas que la Grèce fabrique beaucoup d'automobiles, d'ordinateurs, de machines-outils, ni qu'on y trouve beaucoup de pétrole brut. Elle est beaucoup plus importatrice qu'exportatrice. Les prix des produits importés bondiraient donc. On devine l'effet sur des salaires, des pensions et autres allocations déjà rabotés. Mais la Grèce ne serait pas pour autant débarassée de ses dettes, et des dettes contractées en euros seront encore beaucoup plus difficiles à rembourser lorsqu'on n'aura en main qu'une monnaie faible. Bien sûr, on peut rêver qu'un Etat tente d'imposer qu'une dette d'un million d'euros sera payée un million de drachmes, francs... faibles. Mais ce sera le départ de querelles juridiques (sous quel régime de droit la dette a-t-elle été contractée ?) ; l'Argentine, pourtant en bien meilleure situation que la Grèce, paye cher de contester sa dette aux "fonds vautour" (2). Pareille tentative paraît illusoire : le cas grec montre quel est le rapport de forces réel entre créanciers et débiteurs. Et un Etat qui se trouverait désormais hors de la zone euro ou de l'Union Européenne serait en encore plus mauvaise posture, puisque, ainsi isolé, il s'exposerait à des mesures de rétorsion économique face auxquelles il ne pourrait plus invoquer la moindre solidarité européenne. A fortiori, évidemment, si cet Etat tente de dire "On ne paie pas". Enfin, un Etat doit emprunter pour survivre, et qui prêterait à un Etat qui ne rembourse pas ses dettes ?
Tsipras, qui avait demandé en mars une étude sur les conséquences d'une sortie de la zone euro, en conclut que l'option ne tient pas la route, et Varoufakis ne la défendit pas plus.

or not to Grexit 


Mais le Grexit n'était pas la seule piste. Yanis Varoufakis, l'ex ministre des Finances, a par exemple envisagé la création de "IOU", "I owe You", reconnaissances de dette en euros qui joueraient le rôle de monnaie. Ce système risquait de se heurter au manque de confiance : le particulier payé en IOU pourra-t-il les faire accepter  en paiement à son propriétaire, son épicier ?  Il a aussi proposé, à la place du plan de privatisation, la création d'une holding publique destinée à devenir une Banque de Développement. Le CADTM (Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde) suggère entre autres de créer une monnaie électronique (libellée en euro) à usage interne au pays, un grand programme de travaux publics, et la taxation massive des plus riches. (On pense par exemple à la richissime Eglise orthodoxe. L'ennui, c'est que celle-ci est très influente - 80% des Grecs se disent orthodoxes -, entre autres grâce à un travail social important, et que, attaquée, elle pourrait créer une lame de fond contre le gouvernement. On pense aussi aux armateurs. L'ennui, c'est que les capitaux de cette branche très mondialisée prennent depuis des années la direction des banques étrangères les plus discrètes).
Mais le CADTM souligne bien dans le même texte qu'une condition est indispensable pour créer le rapport de forces nécessaire à ces propositions : "Il est fondamental également de fonder une stratégie alternative en suscitant des mobilisations populaires massives en Grèce et dans les autres pays d’Europe."  De même, un document de l'organisation de jeunesse de Syriza reproche (sans ombre d'un plan alternatif) à Tsipras de n'avoir "laissé aucun espace à l’enthousiasme et la dynamisation, que la participation de la société aurait créés, contre la domination des technocrates".
Or, sur le site du même CADTM, un texte de l'économiste Jean Gadrey, constate que justement, c'est là que le bât blesse :
"Les Grecs ne s’en sortiront pas seuls, là est le principal problème. (...) Le problème est que ces mesures, ou encore la sortie totale de l’euro préconisée par d’autres, n’ont aucune chance d’aboutir sans de puissants soutiens populaires et citoyens d’abord en Grèce, mais aussi et peut-être surtout en Europe, permettant d’isoler les « ultras » en Allemagne et ailleurs. Il est aujourd’hui et dans les mois qui viennent bien plus important de contribuer à des mouvements européens de solidarité et de résistance au néocolonialisme financier que de taper sur Tsipras ou sur l’euro, qui ont l’un et l’autre des limites, mais ces limites sont fonction de contextes, pour l’instant déplorables, mais pour l’instant seulement."
On a vu ce qu'était la mobilisation populaire. Hors Grèce, contre les diktats des créanciers : à Paris comme à Bruxelles, les manifestants se comptaient par milliers, pas par centaines de milliers. Un tour d'horizon européen des opinions nationales montre plus d'hostilité envers Athènes que de solidarité, et les deux dernières élections européennes traduisent un glissement vers la droite. Tabler sur une mobilisation internationale massive qui n'existe pas, c'est se refuser à l'analyse concrète d'une situation concrète. Tsipras est-il un traître d'en tenir compte ?

(1) "Andreas Andreadis (NB : président de la confédération du secteur du tourisme), n'est pas pour autant favorable à une sortie de la zone euro. Certes, le tourisme grec gagnerait en compétitivité, mais cela, selon lui, ne correspondrait pas à la nature du tourisme en Grèce. « Nous ne sommes pas un pays de tourisme bas de gamme qui parque des gens dans d'immenses ghettos. Nous visons un tourisme où les visiteurs partagent la vie des Grecs. Or, je suis persuadé que si la Grèce sort de l'euro, elle va s'appauvrir. Ce partage et le haut de gamme deviendra impossible », estime-t-il. Même sentiment de la part de Georges Tsakiris (NB président de la chambre des hôteliers grecs), pour qui un Grexit serait un « désastre » et « sans aucun effet positif pour le secteur hôtelier. » "
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-le-tourisme-souhaite-un-accord-et-le-redoute-487433.html

(2) "Buenos Aires ne peut toujours pas lever de dette à l'étranger. La justice américaine lui interdit tant qu'elle ne rembourse pas les fonds vautours. Du coup, l'Etat argentin emprunte sur le marché domestique, à des taux record : 27 % d'intérêt annuel pour les bons du trésor émis au début du mois de juin.
Etre un paria sur les marchés financiers depuis près de 15 ans lui coûte de plus en plus cher, et la grogne sociale monte, car le gouvernement n'a toujours pas réussi à dompter l'inflation, de l'ordre de 40 %. La Grèce, écrasée aujourd'hui par une dette qui représente 170 % de son PIB, sera allégée du fardeau en cas de défaut mais prisonnière malgré elle des marchés".
http://www.rfi.fr/emission/20150626-grece-pas-argentine 

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Mots-clef : Grèce, euro, Union Européenne, dette

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